Mardi, 4 novembre 2014
A l’occasion des 30 ans de Canal+, nous vous proposons une série d’article inédits sur les premiers habillages de la chaîne en compagnie de leurs créateurs.
Pour ce premier volet de notre dossier, rencontre avec Etienne Robial dans son atelier à Paris : directeur artistique de Canal+ jusqu'en 2009, il a façonné l’image de la chaîne pendant 25 ans et inventé l'habillage télévisuel en France.
Graphiste, typographe, éditeur, professeur d’art graphique à l’ESAG, Etienne Robial est souvent décrit comme un architecte de l’image. Après avoir dessiné des pochettes de disques chez Barclay, il fonde en 1972 la maison d’édition Futoropolis, et poursuit sa carrière dans la bande dessinée. En s’intéressant tout particulièrement à la fabrication de numéros 0 pour la presse, il montre rapidement son attrait pour les systèmes graphiques évolutifs, qu’il appliquera à plusieurs marques : PSG, CNC, Parc des Princes…
En 1982, il se spécialise dans la conception d’identité de chaîne et d’habillage d’antenne et fonde la société on/off productions. Il impose son style, et deviendra l’un de ceux qui ont façonné et transformé la communication visuelle en France. Il réalisera de nombreux génériques d’émissions, les habillages de La Sept (1986), M6 (1987), RTL9 (1994) et bien sûr Canal+ dont il sera le directeur artistique de 1984 à 2009.
Lenodal : Qu’est ce qui vous a amené à la télévision ?
Etienne Robial : " Je suis arrivé à la télévision via « la chose imprimée » et via l’amitié qui me liait à Pierre Lescure, qui est un grand amateur d’images. En 1982, il m’a permis de vivre ma première expérience audiovisuelle avec Les enfants du rock . Ensuite, il y a eu FR3 pour des génériques de magazines, puis Canal+, La Sept, M6 et les débuts d’Arte. J’ai trainé mes baskets un peu partout, sauf à Canal+ où j’ai eu en plus une fonction de Directeur Artistique Général, aussi bien pour le print que pour l’antenne. Une des particularités de Canal c’est que nous avions mis en place un bureau intégré qui supervisait toute l’image, ce qui n’était pas le cas des autres télés."
Justement, quel était votre domaine d’intervention chez Canal+ ?
Nous faisions avec Marc Lescop, mon adjoint, entre 300 et 400 bons à tirer par mois pour tous les types de communications, à l'antenne et hors antenne : affiches, magazines, publicités, design des décodeurs...
En revanche nous n’intervenions en aucun cas sur les programmes. Pour ma part il y a même une sorte de désintéressement là dessus. Par exemple je n’ai pas la télé à la maison ; ce n’est pas par mépris pour les gens qui regardent la télé mais quand on est toute la journée dans la télé, on n’a pas spécialement envie de la regarder le soir en rentrant... D’ailleurs j’ai été éditeur de bandes dessinées plutôt reconnues, alors que je n’étais pas lecteur de BD non plus ; je crois que ce regard extérieur est une force. C’est un peu comme un marchand de tableaux qui n’est pas collectionneur : il a une vision différente du collectionneur, pour pouvoir vendre des œuvres.
Quels sont vos outils de travail ?
J’ai coutume de dire que je travaille « avec ma pine et mon couteau ». Quand vous prenez une typo sur le Mac et que vous la posez comme ça pour faire un synthé, il ne se passe rien. C’est extrêmement froid ! Le travail à la main apporte quelque chose d'autre. Pour chaque panneau, nous découpions les lettres et les collions une par une. Pendant longtemps, je me suis pas mal amusé avec la photocopieuse par exemple : je découpais puis agrandissais certains caractères à 101% de leur taille, d’autres à 99%... Et en les recollant, cela créait une dynamique. On crée une différence entre chaque caractère donc quelque part, ça le fait vivre…
On travaillait avec des story-boards, des palettes graphiques et des gens qui étaient formés pour ces machines. Fasia Lamari, ma palettiste, travaillait sur la PaintBox de Quantel ; l’avantage est qu’elle permet de travailler au pixel près. Vous pouvez y stocker tous vos éléments, piocher dedans, jouer sur les couleurs, les formes…
Par contre je déteste After Effects. Vous ne pouvez pas travailler au pixel près, vous aurez toujours de l’aliasing. Pour les éléments que l’on fabriquait à la Direction Artistique, qui durent, avec des masters qui sont utilisés plus de 1000 fois je ne pouvais pas le concevoir, on ne pouvait pas se permettre la moindre imperfection graphique ou sonore.
On vous prête la paternité du mot “habillage”, quelle en est votre définition ?
C’est vrai qu’il y a cette anecdote avec Pierre Lescure à qui j’avais dit que j’allais créer une « garde-robe » qui est devenu ensuite “habillage”. Ce terme s’est bien exporté d’ailleurs ; les américains l’utilisent en Français dans le texte !
Tout d’abord, un habillage pour moi doit avant tout identifier, dire « on est sur telle chaîne, tel programme ».
Ensuite, il doit informer et renseigner. Ca doit répondre à la question « qu’est ce qu’on va voir ? », comme un panneau sur une route : à gauche Lyon, à droite Bordeaux.
Il doit aussi clarifier, hiérarchiser et distinguer, dans le sens Bourdieu du terme, sans forcément d’ordre hiérarchique. Je prends un exemple : si un mec présente son émission en nœud papillon tous les jours de l’année, le 31 décembre il ne sait plus comment s’habiller.
La hiérarchisation s’établit en fonction de l’événement, pour le positionner et choisir de le mettre en valeur ou pas. Là on est clairement dans « l’emballage ».
Et enfin, l’habillage doit valoriser et promouvoir. Là encore, nous sommes dans le "faire joli", notion que je mets volontairement entre guillemets car pour moi c’est quelque chose qui se fait naturellement mais on n’est pas là pour ça. L'habillage n’est pas qu’une histoire d’esthétique et de charte graphique mais d’identité : quand on arrive sur l’antenne, on doit savoir exactement où l’on est.
Il ne doit jamais être anecdotique pour ne pas être mémorisé !
Vous avez créé pour la plupart de vos projets, et particulièrement chez Canal+, des systèmes graphiques. Pouvez-vous nous donner quelques unes de ses applications ?
Je cherche en effet à créer une identité, pas seulement des éléments individuels. Ma démarche, c’est aussi de penser "évolutif", notamment pour éviter l'effet d'usure. L’habillage pour moi n’est qu’un maillon du processus d’identification d’une chaîne. Sur Canal+, vous avez certes un habillage, mais vous avez aussi un magazine, un décodeur, des campagnes de pub… toutes sortes d’éléments qui faire exister la marque. A notre siège du quai André Citroën, nous avions par exemple fait un travail global sur l’ensemble des codes graphiques et visuels : cela passait aussi par les places de parking ou des consignes d’évacuation incendie. L’habillage, fondamentalement, c’est de la signalétique. Le but est encore une fois, avant tout d’identifier et d’informer sur un programme plutôt que de "faire joli".
Le logo de Canal+ est en noir et blanc : vous avez le niveau de contraste le plus élevé qui soit. La visibilité est maximale, et c’est cela qui compte.
Nous vous donnons rendez-vous dans les prochains jours pour découvrir la suite de cet entretien sur lenodal , avec des études de cas des premiers habillages de Canal+.
Interview : Johann Frarier, Laurent Thurnherr
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