L'identité visuelle de Canal+, depuis 30 ans, est quasi indissociable de son habillage sonore. Habillée successivement par deux duos de musiciens, Arnaud Devos et Philippe Eidel, puis Florent Barbier et Stéphane Saunier, et désormais par Norbert Gilbert, Canal a pourtant gardé une "patte" sonore bien à elle. Pour lenodal, retour sur l’évolution du "sound design" version Canal.
1984-1995 : Philippe Eidel et Arnaud Devos
A la création de Canal+ en 1984,
Etienne Robial et Mathias Ledoux, chargés de l’habillage, font appel à deux musiciens, Philippe Eidel et Arnaud Devos. Leur tâche est aussi inédite que celle du tandem Robial-Ledoux : ils doivent créer "l'habillage" sonore de la chaîne. Leur parti pris est de créer des sonorités énigmatiques, "
fortement identifiables, mais jamais mémorisables comme nous l'indique Etienne Robial, Directeur Artistique Général de Canal+ de 1984 à 2009.
Jamais mémorisables ? "
Il est important de créer des sons que l’on reconnait mais que l’on ne retient pas de façon trop forte, explique Olivier Schaack, l’actuel directeur artistique de Canal+ dans une interview accordée au site
Design musical,
car à partir du moment où l’on se met à siffler la musique sous la douche, ce n’est pas bon signe : cela sous-entend que l’on risque de s’en lasser".
Le résultat, c’est un thème sonore fait de voix, de basses en « slap » et de nappes synthétiques. Un thème décliné en un générique d’ouverture antenne, un jingle présent avant chaque programme et une version longue, faisant office de générique antenne. Et une version quasi-inédite, nommée « La nuit », publiée en face B du 45 tours du générique,
que vous pouvez découvrir en cliquant ici. Etienne Robial complète : "
En 1984, on avait collé de l'accordéon dans l'habillage... les espagnols nous l'ont renvoyé à la figure pour Canal+ Espagne car pour eux cela faisait franchouillard. Par contre, les gens des pays nordiques trouvaient que c'était très connoté "pays du sud" !"
A cela, il faut ajouter les génériques avant-programme et les génériques d’émission, chacun présentant un univers sonore différent. De nombreux guests sont invités à créer des jingles : le célèbre tchi-tcha des génériques cinéma est signé Michel Jonasz, mais Serge Gainsbourg ou le footballeur Dominique Rocheteau sont aussi mis à contribution, respectivement pour l’émission jeunesse Cabou Cadin et pour les émissions sportives. Quant à la chanteuse Diane Tell, elle crée le générique des fictions, appelées "Ciné T.V.".
Petite perle à partir de 07:40 ci-dessous : la version longue des génériques Ciné TV (Diane Tell) et Cinéma (Michel Jonasz)
1995-2003 : Philippe Eidel et Arnaud Devos
En 1995, l’habillage antenne de Canal+ évolue, et son sound design aussi. Une évolution réalisée par Eidel et Devos eux-mêmes, et qui se fait en douceur, en gardant les fondamentaux de l’habillage précédent, qui "
se sont profondément inscrits dans l’ADN de la chaîne ", raconte Olivier Schaack. C’est le cas du fameux tchi-tcha qui reste en conclusion de 12 versions créées pour le jingle avant-programme cinéma, chacune utilisant des voix différentes. Seul générique à traverser quasi intact les deux époques : celui de la météo.
Une construction minutieuse de l'identité sonore a été pensée comme nous l'explique Etienne Robial : "
chaque seconde est décomposée en cinq temps, de sorte qu’on peut prononcer « un hippopotame » (soit cinq syllabes) chaque seconde. Ce système fait que toutes les musiques, toutes les boîtes à rythmes, sont basées sur ce rythme de cinq par cinq, c’est-à-dire que n’importe quelle animation est superposable à n’importe quelle musique".
Pour le reste, les nappes synthétiques sont essentiellement remplacés par des "
sonorités très acoustiques", expliquent à l’époque les créateurs, sonorités qui vont du quatuor à cordes à l’accordéon en passant par des instruments issus des musiques du monde : bozouki ou charango. Viennent s’y ajouter des piaillements et pépiements, décrits comme des "
oiseaux solistes " par Philippe Eidel et Arnaud Devos.
2003 - 2009 : Stéphane Saunier & Florent Barbier
A partir de 2003, Etienne Robial fait appel à Stéphane Saunier, programmateur musical de la chaîne, et Florent Barbier. "
Toujours en duo, ça fonctionne mieux comme ça. Et puis on travaillait souvent dans l'urgence, il fallait pouvoir produire vite», explique Robial.
Les deux compositeurs choisissent de tourner la page et de mettre en avant un nouvel instrument : le xylophone. Adieu la voix lyrique qui annonçait chaque programme, la nouvelle signature sonore de Canal+ vient en fin de générique, et se compose de trois notes de xylophone.
Etienne Robial nous en dit plus : "
L'avantage du xylophone, c'est que c'est une percussion : c'est très rythmique et il n'est pas géographiquement connoté. On ne sait pas vraiment d'où ça vient et ce n'est pas positionnable dans le temps. Du coup, ça ne fait pas "jeune" sans pour autant être trop classique.
Quand on a travaillé pour les JO de Pékin de 2008 par exemple, on a mis du xylophone. C'était "connoté chinois" mais cela restait avant tout du Canal dans l'esprit des gens".
Depuis 2009 : Norbert Gilbert
En 2009 les choses changent à la Direction Artistique de Canal+ : Etienne Robial s'en va, et pour la première fois l’habillage est confié à une agence externe, Devilfish pour l'image, et à un musicien pour le son, Norbert Gilbert,
du studio YellowSharkMusic, qui a déjà travaillé pour i>Télé et plusieurs chaînes du groupe MultiThématiques, dont Planète.
La création s’étale sur quelques mois à peine, de fin juin 2009 pour une mise à l’antenne fin août. "
Dans les premiers tests, on avait quelque chose de très conceptualisé, des empilements de son autour de l’idée du 4. On s’est aperçu que ça manquait de folie, de liberté. Je voulais trouver un principe déclinable à l’infini, et minimaliste à l’excès », nous raconte le compositeur. Ce principe, ce sera donc "
l’addition de deux sons : du vibraphone et de la voix".
En tout, on trouve trois voix différentes sur les jingles de la chaîne : "
Une voix grave, un peu opéra, qui a eu tendance à disparaître au fil du temps ; une voix de femme, et un beatboxer. J’écris pour chacune des voix : la plus compliquée c’est la voix féminine, c’est elle qui fait tout, mais je travaille depuis toujours avec la même chanteuse, qui a une grande capacité à changer ses intentions de voix". Après des tentatives d’enregistrement d’une traite, le processus de création arrive : une fois que le jingle est composé, chaque note est enregistrée indépendamment, puis les accords, les arpèges et les mélodies sont reconstitués au montage.
Ce retour à la voix, était-ce un choix au préalable ? Pour Norbert Gilbert, cette inspiration tient presque de l’inconscient, tant l’utilisation des voix est ancrée dans l’ADN de Canal+ : "
Intuitivement, même si je ne regarde pas beaucoup la télé, j’ai grandi avec la voix, le premier habillage de Canal, puis avec celui plus jazzy qui utilisait du vibraphone. Donc ça s’est fait ultra naturellement".
Cette inscription de l’habillage actuel dans la continuité de l’identité de Canal+ est si forte que le son qui accompagne la formation du « + » dans les jingles, "
chez Canal, il est surnommé le tchi-tcha ", raconte le créateur de l’habillage sonore. "
Honnêtement je ne me suis pas demandé ce que je pourrais utiliser dans l’habillage passé de Canal… c’est venu naturellement. Et d'ailleurs ce n’est pas un tchi-tcha, c’est juste un claquement de doigts dont la réverbération est ultra compressée ! Il fallait induire une continuité, mon travail, ça a aussi été ça. Tous ces sons sont des sons Canal, mais ça ne ressemble pas du tout à ce qui a été fait avant".
Interviews : Julien Baldacchino, Johann Frarier