La place désormais prépondérante des séries, tant en temps de programmation qu’en audience, oblige les diffuseurs à promouvoir ces programmes non plus selon le mode habituel de la diffusion unitaire mais sur le long terme (au moins une saison, parfois jusqu’à 10 ans pour des sitcoms comme FRIENDS). Le cas de DEXTER est symptomatique de cette évolution : c’est une des séries les plus suivies au monde (avec un record d’audience pour la chaîne à péage Showtime lors du cliffhanger de la 4ème saison), bénéficiant d’une écriture originale qui fait la singularité des productions américaines.
Comment une chaîne française s’approprie-t-elle ce type de programme étranger ? Comment les rebondissement et l’évolution thématique de la série sont-ils gérés ? Olivier Schaack, Directeur Artistique, a accepté de revenir pour lenodal sur la chronologie de la promotion de DEXTER par Canal+, son premier diffuseur français.
SAISON 1
Dans la série : Nous découvrons l’étrange personnalité de Dexter Morgan. Le jour, il est criminologue expert en taches de sang et contribue à arrêter de nombreux meurtriers. La nuit, il change de camp et devient lui-même un redoutable tueur en série. Mais les pulsions morbides de Dexter sont canalisées par un “code” qui le conduit à n’assassiner que d’autres criminels avérés et qui ont échappé au système judiciaire...
Sur Canal+ : “La première saison d’une série est toujours un cas à part, explique Olivier Schaack. On ne travaille qu’avec des matériaux issus de la série elle-même pour fabriquer un montage présentant les personnages aux téléspectateurs. Les personnages, c’est le moteur d’une série.” En l’occurrence, c’est le portrait de Dexter dont il s’agit, mais il n’est qu’esquissé et empreint de mystère. L’objectif est évidemment de susciter l’envie.
SAISON 2
Dans la série : Le FBI ouvre une enquête sur le “Boucher de Bay Harbour”, un tueur en série qui jette à la mer les cadavres de ses victimes. En fait, ce tueur n’est autre que Dexter, qui va plus que jamais devoir jongler entre sa vie publique et son “passager noir”.
Sur Canal+ : L’univers de la série étant désormais établi, la chaîne a pu se permettre d’inaugurer une communication moins explicite et jouant d’avantage sur l’attente des fans. “On commence à travailler en ‘without footage’, dans un esprit plus proche de la pub. Ce genre de teaser est le fruit d’une réflexion interne puis du brief d’un ou deux agences.” Ici, ce sont les italiens de Frame by Frame qui se sont vus confier la réalisation de cette campagne. L’agence raconte : “notre objectif était de trouver un angle original pour affirmer la double personnalité de Dexter, mi-ange, mi-démon ; mi-héros, mi-criminel.”
Il en résulte un teaser très graphique où la typographie joue un rôle prépondérant, “ce qui est totalement dans les gênes de Canal+”, rappelle Olivier Schaack. La palette de couleurs, quasi binaire (elle se limite au rouge et aux niveaux de gris), insiste sur l’ambivalence du personnage. Les codes propres à la série sont également exploités, avec le film plastique et le gaffer qu’utilise Dexter pour paralyser ses victimes. Chose assez rare pour être soulignée, le logo Canal+ est détourné pour l’occasion. La chaîne s’est également octroyé les services de Patrick Mancini, doubleur français de Michael C. Hall.
Une deuxième promo permet d’installer une toute autre ambiance... Initialement très sombre (Dexter affute ses outils, s’apprête à tuer), elle glisse petit à petit dans un registre comique où les sons des outils du personnage servent à recréer le thème salsa de la série. Là encore, la colorimétrie joue un rôle essentiel : d’une palette froide, on arrive à des couleurs bariolées qui contrastent avec l’intention meurtrière du personnage. On notera aussi que le comique s’appuie sur la répétition du montage : un procédé qui a été réutilisé récemment, pour un tout autre effet, dans un teaser promouvant le film Shutter Island.
Dans la série : débarrassé de ses persécuteurs, Dexter va pouvoir se rapprocher de Rita et faire une expérience d’un genre nouveau pour lui, l’amitié.
Sur Canal+ : “Les saisons 2 et 3 ont été diffusées à la suite, nous n’avons donc pas produit d’autre teaser graphique.” Une bande-annonce montée à partir d’images des premiers épisodes permet de réaffirmer les enjeux de la série et d’introduire le personnage de Miguel.
SAISON 4
Dans la série : Dexter est désormais marié et père de famille, ce qui va considérablement compliquer sa double vie...
Sur Canal+ : deux teasers ont été diffusés pour le lancement de cette 4ème saison. On peut observer qu’ils aboutissent au même effet en employant des ressorts dramatiques opposés.
Le premier spot s’emploie à installer un cruel suspense : Dexter va-t-il tuer son bébé ? Une question loin d’être incongrue car le problème de l’acceptation de l’enfant est posé durant une grande partie de la grossesse de Rita. Finalement, il se sert de sa scie circulaire comme d’une berceuse pour son petit. Charmant...
Le deuxième teaser fonctionne de manière symétrique. A l’inverse du premier spot, le point de départ est la paternité assumée de Dexter ; l’incongruité ne survient qu’à la fin. On voit ainsi Dexter, de dos, nourrir le petit Harrison. La caméra s’abaisse pour découvrir une tache de purée de carottes sur le carrelage. Un travelling arrière dévoile deux nouvelles taches : du chocolat puis le sang d’un certain John M. La question de l’interpénétration de deux vies du personnage est explicitement posée.
Ce sont deux réalisateurs ‘stars’ de la pub, Olivier Couradjut et Rémy Tricot (ils ont notamment collaboré avec BETC), qui ont mis en scène ces teasers. On remarquera que leur esprit est en symbiose avec la campagne d’affichage lancée aux États-Unis par Showtime, sur le thème “My dad is a killer”. En France, Canal a également déployé une campagne print ayant pour baseline : “C’est l’heure du bain... de sang.”
Production : Stink ; Réalisation : Olivier Couradjut et Rémy Tricot (Les Uns)
SAISON 5
Dans la série : l’enjeu, c’est la culpabilité de Dexter. Il se retrouve seul pour élever son bébé ainsi que les enfants de Rita mais ses pulsions meurtrières ne cessent pas pour autant. Il devient obsédé par le fait que son garçon (qui a assisté à la mort de Rita tout comme Dexter avait été témoin du meurtre de sa propre mère) pourrait devenir à son tour un criminel.
Sur Canal+ : la chaîne a fait réaliser 4 teasers par l’agence Lazy Corner Pictures. Ils mettent en scène une chambre d’enfant envahie de jouets et filmée au ras du sol. La voix de Dexter assène des banalités sur les ressorts de la filiation. Mais alors que les travelling dévoile les jouets un à un, il s’arrête sur un objet particulier qui, par une mise en scène originale ou par un effet de suggestion de la voix-off, va devenir connoté et raccorder les jeux du petit Harrison aux pulsions de son père.
“Je ne vous cache pas que l’on a été totalement séduits par le nounours, raconte Olivier Schaack. C’est presque une affiche de film en soi et l’on est totalement dans le côté décalé propre à la série et à Canal+. A titre personnel, j’aime beaucoup également celui avec le jeu électronique... Il y a des détails très sympathiques, comme le ‘level 5’ sur l’écran.”
Esthétiquement, les couleurs vives de la chambre et des objets contrastent avec l’univers de Dexter. Ils installent une impression de vie et d’innocence, ce qui accentue la surprise finale. Ces spots ont été tournés avec le reflex hybride EOS 5D de Canon, appareil très en vogue pour ce genre de réalisations.
Reste une question : quel regard la Direction Artistique porte-t-elle sur les campagnes créées par les chaînes étrangères, notamment par les diffuseurs hôtes ? “Évidemment on regarde ce qui se fait ailleurs avec beaucoup d’intérêt, mais sans jamais perdre de vue les constituantes de l’identité de Canal+ ou les spécificités culturelles françaises. Je vois parfois des campagnes magnifiques aux USA mais qui seraient inadaptables chez nous, par exemple à cause d’un jeu de langage intraduisible. Parfois au contraire certaines campagnes fonctionneraient à merveille en France et l’on se bat pour pourvoir les rapatrier sur Canal. Malheureusement, c’est souvent peine perdue pour des questions de droits ou d’exclusivité avec une chaîne. Cela nous est arrivé par exemple il y a quelques années avec DESPERATE HOUSEWIVES et une campagne réalisée par David LaChapelle : Channel 4 ne nous a pas autorisé à l’utiliser”, raconte Olivier Schaack.