T18 a été officiellement lancée ce vendredi 6 juin à 19h45. La chaîne du groupe CMI fait son apparition dans un paysage audiovisuel en pleine mutation, avec l’arrivée de deux nouvelles chaînes et le déploiement d’un nouveau plan de numérotation.
Pour lenodal, découverte des coulisses de la création de T18, à travers les regards croisés d'Étienne Robial, créateur de son identité graphique et visuelle, et Emmanuelle Lacaze, présidente de l’agence Gédéon qui en a produit l'habillage.
Naissance d’une chaîne
L’aventure de T18 commence l’été dernier : le 24 juillet 2024, l’ARCOM dévoile la liste des candidats retenus pour l’attribution des fréquences TNT, alors remises en jeu. Deux nouveaux entrants voient leurs propositions retenues. Parmi eux, le projet RéelsTV, porté par le groupe Czech Media Invest (CMI) — lequel est surtout connu en France pour détenir quelques titres de presse, à l’instar de Marianne, Elle, Public ou encore Franc-Tireur.
Dès sa présentation devant les membres de l’ARCOM, le projet s’oriente vers une chaîne généraliste proposant des documentaires, des débats et du divertissement. Une fois l’autorisation d’émettre délivrée, une course contre la montre s’engage pour les équipes de CMI : la chaîne doit être lancée avant l’été 2025.
En janvier dernier, l’ARCOM annonce un nouveau plan de numérotation pour les chaînes de la TNT. La chaîne dévoile alors son nom définitif : T18 — le T faisant référence à « télévision » et le 18 à son numéro de canal fraîchement attribué.
Un logo en équilibre
Étienne Robial nous reçoit dans son atelier, situé dans le XVe arrondissement de Paris. On ne présente plus celui qui fut le directeur artistique de Canal+, de 1984 à 2009 : son travail pour la chaîne cryptée est considéré aujourd’hui comme l’acte fondateur de la notion d’habillage télévisuel — lire notre entretien, réalisé en 2014 à l’occasion du trentième anniversaire de la chaîne cryptée. Celui qui fut également éditeur et professeur, créateur de nombreuses identités visuelles (le PSG, l’Équipe, les InRocks, le CNC…) est l’une des figures majeures du design graphique.
Aux murs de son atelier, de larges étagères réunissent une impressionnante collection de livres autour du design graphique, qui cohabitent avec ses créations.
C’est à la table de son atelier, au milieu de ses outils, qu’il nous raconte la genèse de la création de l’identité de T18.
À l’automne dernier, Denis Olivennes, président du conseil de surveillance du groupe CMI France, se rapproche d’Etienne Robial pour qu’il pilote la conception de l’identité visuelle de la future T18. À l’époque, le nom de la chaîne n’est pas encore arrêté et de nombreuses hypothèses sont étudiées par l'agence Joosnabhan. Parmi elles figurent une déclinaison du nom du groupe (TMI) et des noms autour du numéro de canal, encore inconnu à l’époque : La26, La27, La28, T26, T27, T28...
Pour chacune de ces pistes, Etienne Robial engage un travail de recherche graphique, explorant sur papier les différentes combinaisons de lettres, de formes et de couleurs.
La lettre " T " finit par s’imposer.
Pour concevoir le logotype de T18, Étienne Robial commence, comme à son habitude, par le dessiner sur du papier quadrillé, en calculant soigneusement les proportions. La forme du logotype suit une rigoureuse construction géométrique : il prend la forme d'un rhombe (« et non un losange », précise t-il) légèrement dévissé. La forme est partagée selon un rapport 1/3 - 2/3 : c’est sur cette césure qu’est installée la lettre T en blanc, placée au centre de la forme.
Extrait de la charte graphique de T18 (on/off)
À gauche, un triangle de Pythagore noir aux proportions 3/4/5 ; à droite, un quadrilatère aux teintes noires et bleues.
Le logotype témoigne de l'intérêt de longue date d'Etienne Robial pour la (dé)construction géométrique. Si cette thématique se retrouve dans ses créations, on la retrouve aussi dans ses études et ses enseignements. Le logo de T18 rappelle ainsi le « partage harmonieux d’un carré en trois parties », exercice qu’il donnait à ses élèves durant ses cours dispensés à Penninghen.
Le logotype noir et bleu de T18 se décline dans tout une gamme chromatique, reliée avec différentes thématiques abordées à l’antenne.
Extrait de la charte graphique de T18 (on/off)
Pour l'adaptation du logo en favicon, il a fallu transposer le logo sur une grille de 16 pixels sur 16 pixels.
Là encore, le travail a été fait à la main, et "à l'oeil" pour garantir une bonne lisibilité. "C'est intéressant parce que c'est un truc compliqué à faire. A l'oeil celui là est le mieux, mais il est moins efficace que celui d'à côté. C’est un bon exercice, j’adore ça".
Une typographie sur mesure
Un alphabet a également été dessiné sur mesure pour l’identité de T18, avec des origines inattendues : "J'ai créé l'alphabet pour le CNAP (Centre National des Arts Plastiques) et les ayants-droits de Jean-Luc Godard, à partir des lettres de ses génériques de films.". On le retrouve dans Féminin Masculin, par exemple :
Etienne Robial ouvre alors un classeur, où sont soigneusement consignés les dessins des différentes lettres, qui ont été ensuite vectorisés pour pouvoir les utiliser sur écran. Certaines lettres ont été dessinées en plusieurs versions, avec des variantes. L’ensemble, proposé exclusivement en caractères haut-de-casse, a donné naissance à « l’alphabet T ».
« Le neveu de Godard m’a dit : "Si ça vous intéresse, je vous invite dans sa bibliothèque". C’est un endroit où personne n'est jamais allé ! Il y a toute sa documentation personnelle. Je suis sûr d'y retrouver une grande partie des bouquins que je connais, parce que Godard était très sensible aux alphabets."
Je le vois très bien dire : "Il faut mettre un point sur le i parce qu’on voit pas que c’est un i". On voit son affinité avec les alphabets aussi dans ses génériques, qui sont des chefs-d’oeuvre." s'enthousiasme Etienne Robial.
"Dans les génériques de ses films, ce n’est jamais interlettré comme il faut et c’est ce qui fait son style. Le dessin de la lettre n’est pas du tout typographique : il y a des lettres peintes, toujours bien dessinées mais avec des maladresses. C’est le pinceau, le trainard…"
L’alphabet T est utilisé dans l’identité visuelle de la chaîne pour les titres ou accroches. Chacun de ses cartons titres est composé à la main, en assemblant les différentes lettres une à une. Une méthode artisanale qui fait écho au travail de titrage mené par Étienne Robial pour Canal+ : les titres des émissions étaient en effet composés de lettres photocopiées à différentes échelles et assemblées à la main, de sorte à créer une forme de « vibration » visuelle. C’est également un clin d’œil aux compositions typographiques visibles dans les films de Jean-Luc Godard, systématiquement justifiées et plus ou moins interlettrées.
Du papier à l’écran
Une fois l’identité visuelle créée, c’est l’agence Gédéon qui a eu la charge de la transposer à l’écran : « Notre travail, c’était de donner vie au logo, aux couleurs, et la typographie d'Etienne Robial, et de mettre tout cela en mouvement. On a pris ses formes et ses couleurs fixes, et on s’est demandé : comment on le rend vivant, grâce au motion design, en étant fidèle à l'idée ? » résume Emmanuelle Lacaze.
Le logo conçu par Étienne Robial a servi de base pour la création de l’habillage, et s'anime avec un léger mouvement de rotation : « On a joué sur des animations qui traduisent l'idée “d’équilibre instable”. C'est la chaîne du dialogue, du débat permanent, sans vérité figée. On recherche l'équilibre. ».
Ce logo en mouvement apparaît dans l’ensemble de l’habillage - des bandes-annonces aux génériques de case, en passant par les jingles pub. « Le logo est très présent à l'antenne : c'est une nouvelle chaîne, donc il faut que la marque, le nom et le logo soient mémorisés. ».
Au sein de l’habillage, le logotype peut se présenter avec ou sans la mention du numéro de canal, tel qu’il a été pensé à l’origine. Les deux chiffres s’animent d’ailleurs indépendamment du reste du logo : « Le « 18 » est purement signalétique : il indique le canal. On l’a appris tardivement, en janvier. Mais dès le départ, on a pensé le système pour qu’il soit modulable, quel que soit le numéro de la chaîne. » ajoute Emmanuelle Lacaze.
L’alphabet T se retrouve naturellement au centre de l’habillage, notamment dans les génériques de cases : les lettres s’animent alors pour créer des compositions graphiques. Les éléments déclinent l'ensemble de la gamme chromatique pensée par Etienne Robial.
« Les titres ont été composés à la main, avec des règles strictes. Ça n’a pas toujours été simple. Mais c'était hyper intéressant de voir tous les jeunes directeurs artistiques travailler à la main, dans l’esprit d’Étienne » souligne Emmanuelle Lacaze.
En complément de cet alphabet, le caractère Van Condensed, publié en 2004 par la fonderie Vanarchiv, est utilisé pour le texte courant. On le retrouve notamment dans les bandes-annonces de la chaîne.
L’habillage sonore de T18 a été conçu par l’agence Sixième Son. Un travail particulier a été mené sur la composition de la musique, afin de l’accorder au mieux avec les intentions visuelles. Emmanuelle Lacaze précise : « Image et son étant indissociables, nous avons travaillé main dans la main avec Sixième Son. On est allés les voir plusieurs fois en studio, on a écouté des maquettes ensemble. On s'est tous mis au service du concept d'Etienne : radicalité, débat, dualité. On a travaillé sur des textures, de la spatialisation, des signatures sonores qui dialoguent avec l’image… Il y a même une logique gauche/droite dans certains effets, comme une balle de ping-pong ».
« Pour faire vivre le logo en mouvement, on a introduit des mouvements inspirés de l’art cinétique.».
Pour Emmanuelle Lacaze, qui a travaillé à ses débuts avec Étienne Robial sur le générique des Guignols de l’Info peu de temps après son arrivée à Gédéon, cette collaboration revêt une importance particulière : « J’ai intégré récemment de jeunes créatifs chez Gédéon : certains ont eu Étienne comme professeur, ils le considèrent comme un maître. J’avais emmené mes équipes redécouvrir son travail, notamment lors de son exposition au Musée des Arts Décoratifs. Il y avait une vraie dynamique intergénérationnelle et de transmission ».
Crédit photo : Gédéon
Article mis à jour le 10 juin 2025 : ajout des crédits pour la recherche du nom (agence Joosnabhan)
Article et photos : Johann Frarier, Bastien Luneteau, Valentin Socha
Crédits visuels T18 : on/off, T18