Vendredi, 29 mars 2013
Nous poursuivons notre série d'articles consacrés au PromaxBDA Europe 2013. Après David Shing, nous vous proposons une rencontre avec Nikki Bentley, Business Director de l'agence BDA Creative. Après avoir travaillé pendant plus de 10 ans en Afrique du Sud pour la télévision et la publicité, elle a rejoint l'agence BDA à Londres pour piloter l'activité "branding" et son développement international. Son intervention au Promax a été l'occasion de l'interroger sur l'évolution de la stratégie de marque pour les diffuseurs, et la place du design dans ces transformations.
lenodal : Les marques TV sont bousculées par l'émergence des acteurs numériques. Quelles évolutions constatez-vous dans le secteur ?
N. Bentley : Effectivement, tout cela évolue très vite, c'est indéniable. Pour une marque, la clef du succès est d'entrer en dialogue avec son public, et je crois que les chaînes TV manquent encore de maturité en la matière. Certaines marques d'autres secteurs, dans le luxe notamment, travaillent depuis longtemps sur la relation directe avec leurs clients. C'est plus compliqué pour la télévision, qui est historiquement dans un fonctionnement en monologue, mais elle doit se nourrir de ces exemples.
Grâce aux nouveaux outils technologiques, un dialogue direct est justement possible avec le public : vous pouvez l'atteindre de différentes façons, sur différentes plate-formes, à différents moments... Cette relation, si elle est chaleureuse, fera revenir les consommateurs vers la marque.
La télévision est donc en train de rattraper un retard en terme de pratiques marketing ?
Tout à fait, d'autres marques communiquent déjà comme cela. On est au-delà du design, on est dans l'attitude : « Comment s'adresser aux gens ? Comment réagir à des événements ? Quelles sont les valeurs de la marque ? » Surtout, tout cela doit être fait avec honnêteté ; les entreprises ne peuvent plus duper les consommateurs ou forcer leurs attitudes. Il s'agit de créer du lien. Le design est un des ingrédients pour cela, mais pas le seul.
Les groupes premium et les cablo opérateurs ont un avantage décisif dans ce domaine, parce qu'ils sont les premiers à savoir qui sont leurs abonnés et peuvent exploiter ces données pour interagir avec eux.
Dans ce contexte, que reste-t-il au design graphique ?
Il reste important car il permet aux marques d'établir une connexion visuelle avec les gens. Mais on n'est clairement plus dans le design pour le design : il doit être utile et fonctionnel pour la marque, refléter son positionnement et ses valeurs.
2012 a vue une forte augmentation des synergies entre TV et réseaux sociaux : contenus spécifiques au web, explosion du “live-tweet”, apposition des hashtags et diffusion de messages pendant les émissions en direct... Trouvez-vous que producteurs et diffuseurs exploitent correctement ces nouveaux flux ou que cette pratique manque encore de maturité ?
Je crois qu'il y a bien plus à tirer de ces nouvelles technologies. Les professionnels ont pris conscience de l'ampleur du phénomène, mais nous sommes encore dans une phase d'expérimentation et d'apprentissage. Par exemple, en Angleterre, lorsque ITV diffusait "X Factor", les tweets étaient uniquement relayés sur le site web de la chaîne... C'est insuffisant. Il faut que les gens puissent interagir avec le programme, influer sur son déroulement.
Les données qui sont récoltées grâce à l'utilisation des réseaux sociaux sont une première étape ; ils aident les diffuseurs à avoir une idée plus précise des attentes du public et des futurs usages de ces médias. Nous savons par exemple que 40% des tweets émis pendant le prime-time ont trait aux programmes de télévision, ce qui est encourageant et relativise par ailleurs la prétendue baisse d'attractivité de ce médium.
Comment voyez-vous l'avenir de la télévision comme flux linéaire ?
Beaucoup ont annoncé sa fin et ça ne vient pas, parce qu'il y a une multitude d'événements (émissions en direct, sports...) qui impliquent une forme de rendez-vous entre le public et un hôte, en l’occurrence le diffuseur. Des études ont également montré que regarder un programme de flux sur un écran de TV crée un sentiment d'appartenance à un groupe, un "club". La télévision reste également un important prescripteur de tendances et un sujet de discussion pour les gens.
Pour moi, le plus gros problème qui se pose au secteur est la gestion des droits et la chronologie des médias. La télévision est une industrie mondialisée, dominée notamment par la production américaine de séries. Le fait de devoir attendre plusieurs mois après les USA pour regarder la dernière saison d'une série est très handicapant... Les réseaux sociaux, eux, n'ont pas de frontières. Voilà une attitude révélatrice : lorsque vous suivez une série, votre plus grande peur est de vous faire "spoiler". Autre exemple : je vis en Angleterre mais ne peux pas utiliser pleinement mon application BBC lorsque je suis avec vous, à Paris, à cause de restrictions géographiques. Ce modèle touche à sa fin.
Quelle est votre perception des marchés européens, notamment du marché français ?
Le marché européen est très intéressant car il est diversifié et en même temps relativement petit. Les USA sont un marché important car ce seul pays pèse plus de 400 millions d'habitants. En Europe, nous avons un ensemble de marchés de moyenne voire petite taille. Il me semble donc que, malgré les barrières culturelles ou linguistiques, il y a quelque chose à faire à une plus grande échelle. Les marques auraient ainsi une importance renforcée. Les nouvelles technologies nous poussent dans cette voie... Mais il y a tant à faire, à expérimenter et à apprendre. C'est un challenge incroyable à relever.
J. Magne - J. Frarier
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